La petite Chartreuse by Pierre Péju

La petite Chartreuse by Pierre Péju

Auteur:Pierre Péju
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2013-03-15T00:00:00+00:00


III

Insomnie

Après l'accident, après la nuit passée à gueuler dans la montagne et à se cogner le crâne dans les branches basses, l'interminable journée au cœur du grand hôpital à attendre le corps comateux d'une petite fille en compagnie d'une jeune femme qui ne songeait qu'à « se sauver », Vollard avait regagné à pied la vieille ville, dans la neige et la brume. Ne pouvant entrer au Verbe Être, il était allé s'effondrer dans son appartement.

Déjà deux jours qu'il n'avait pas reparu, mais Madame Pélagie était habituée aux absences de Vollard, ses brusques départs, ses arrivées fantasques. Souvent, il se rendait à des ventes de livres anciens ayant lieu à des kilomètres, dans une autre ville. Ou bien il restait enfermé chez lui et ne redescendait qu'après avoir achevé la lecture d'un énorme roman. Il allait on ne sait où. Il marchait aussi dans la Grande Chartreuse afin de dépenser l'énergie dangereuse. Marcher des heures et brûler la vieille violence. Puis il s'installait entre des blocs de roches effondrées et lisait encore, en plein vent, sous la pluie et la neige parfois, à l'abri d'un parapluie noir. Saint Jérôme à l'écharpe rouge, singe énorme penché sur les Écritures. « Ha ! comme tout me revient, bon Dieu ! Cet œil ! Ce vide ! Cette vigilance ! Cette lassitude ! L'homme arrive. Les chemins obscurs tous derrière lui, tous en lui, les longs chemins obscurs, dans sa tête, ses flancs, ses mains, ses pieds, et lui, assis dans l'ombre vermeille, se curant le nez, attendant l'aube. L'aube ! Le soleil ! La lumière ! Ha ! Les lents jours d'azur pour sa tête, ses flancs, et les petits sentiers pour ses pieds, toute cette clarté à tâter et à prendre. »

De retour chez lui, il lui fallut boire, d'abord de l'eau, des litres d'eau qu'il tétait à la bouteille et laissait ruisseler dans son cou, sur sa poitrine. Il avait jeté sur le sol tous ses vêtements puants, ses vêtements déchirés.

Nu, complètement nu, blanchâtre et roux, couvert de bleus et d'écorchures, il se versa un verre de whisky, un deuxième, puis un troisième qu'il emporta sous sa douche. Bientôt, sous les jets brûlants, dans la vapeur, il s'accroupit, se tassa sur lui-même, se recroquevilla, grosse boule de viande triste sur laquelle l'eau ruisselait, à l'intérieur de laquelle l'alcool coulait. Combien de temps demeura-t-il sous l'eau, dans l'alcool. Trempé, dégoulinant, il se jeta enfin sur son lit et sombra dans un sommeil exceptionnellement profond, un vrai sommeil de brute, un sommeil d'enfant. Il sombra dans un sommeil sans cauchemars, sans visions et surtout sans phrases, ces phrases qui, habituellement, se prononçaient toutes seules et sans fin, au milieu de ses nuits. Car l'insomnie, survoltée et aveuglante, l'insomnie douloureuse, Vollard en souffrait bien avant l'accident. Depuis des années, toutes les nuits. Insomnie donc lecture. Et encore insomnie.

Que se passa-t-il ce soir-là ? Après l'accident, la neige, la nuit, la montagne, après l'hôpital ? Insomniaque depuis toujours, Vollard tomba dans une grande cuve



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